Étude sur l’utilisation de la baie de l’Aiguillon et des marais périphériques par les anatidés hivernants
Pourquoi une telle étude ?
La baie de l’Aiguillon et le Marais poitevin constituent un espace essentiel pour la migration et l’hivernage de nombreux oiseaux d’eau. Dans les années 80, cet éco-complexe accueillait plus de 80 000 canards de surface. Du fait des mutations agricoles du marais (réduction des surfaces prairiales et gestion hydraulique modifiée), ces effectifs sont actuellement proches des 20 000 individus. L’ensemble des principales zones de remise sont classées en réserves naturelles, en revanche toutes les zones de gagnages (zone d’alimentation) ne font pas l’objet de protection forte. A priori, les principales zones de gagnage sont incluses dans le périmètre Natura 2000. Des contrats MAE sont proposés aux exploitants agricoles pour pérenniser les habitats prairiaux.
C’est pour cette raison qu’il est important de créer ou d’améliorer les zones de gagnage en bordure de baie, soit des zones localisées en dehors du périmètre de la Réserve naturelle nationale. Compte-tenu de la complexité de la politique agricole et hydraulique dans le Marais poitevin, il semble indispensable de cibler les zones d’intervention tant sur la partie terrestre que sur la partie maritime.
Mais, au delà de ces travaux, un des enjeux de conservation de cette communauté d’espèces d’anatidés est d’établir de meilleures connaissances des liens entre les zones de gagnages et les zones de remises, et ainsi mieux comprendre l’aire fonctionnelle de ces canards. Le travail mené revêt donc un caractère opérationnel pour adapter une gestion de la zone humide du Marais Poitevin favorable aux oiseaux d’eau, des corridors qui l’accompagnent et donc une aide à la mise en place des politiques publique de protection.
Le travail réalisé dans le cadre du LIFE « baie de l’Aiguillon » ne concerne que les ressources trophiques et les habitats liés. Aussi, trois questions prédominent : où les canards remisés en baie vont-ils manger, que mangent-t-ils et quelle est l’évolution des ressources alimentaires ?
Plusieurs espèces hivernent en baie, parmi lesquelles les plus communes sont le Canard colvert (près de 7000 ind. en 2016), la Sarcelle d’hiver (3400 ind. en 2016), le Canard siffleur (2800 ind. en 2016), le Canard pilet (2000 ind. en 2016), le Canard souchet (400 ind. en 2016).
Comment faire ?
1 – Première question : quelles sont les zones qui produisent le plus à manger ?
Il s’agit de caractériser et de quantifier les principales ressources trophiques des anatidés granivores via l’analyse des graines contenues dans les carottes d’échantillonnage du sol. Ces analyses permettent de qualifier et quantifier les principales graines consommées par les anatidés. Elles permettent également d’identifier le potentiel d’accueil des surfaces échantillonnées au cours des saisons (à l’automne, avant l’arrivée des oiseaux hivernants ; en hiver, pendant leur présence ; au printemps, en fin de saison).
Plusieurs zones d’alimentation aux caractéristiques différentes sont échantillonnées : Marais de la Vacherie à Champagné-les-Marais, Mizottes de Charron et de Champagné, Communal de Lairoux, terrain CEL de la Prée Mizottière.
L’analyse des graines se fait ensuite par tamisage des carottes. Chaque graine est identifiée et comptabilisée. Le poids en graines de chaque carotte est noté (poids frais et pois secs).
2 – Deuxième question : que mangent les canards ?
Une coopération avec les chasseurs locaux pratiquant soit la chasse à la passée, soit la chasse à la tonne, est engagée pour permettre l’analyse des jabots de canards tués. Il s’agit de déterminer ce que les canards mangent en hivernage.
Les espèces concernées par ces analyses seront : la Sarcelle d’hiver Anas crecca, le Canard colvert Anas platyrynchos, le Canard chipeau Anas streptera, le Canard pilet Anas acuta et le Canard souchet Anas clypeata.
Cette analyse ne concerne que les canards hivernants tués à la chasse en décembre et en janvier, de préférence lors de la passée du matin. Chaque gésier et jabot est disposé dans un sac congélation. Une étiquette réalisée par les soins des gestionnaires de la Réserve est transmise aux chasseurs volontaires.
La Fédération Départementale des Chasseurs de Vendée, la Sauvagine Vendéenne et la Chasse Maritime Vendéenne sont étroitement associées à ce volet de l’étude.
3 – Troisième question : où vont-ils manger ?
Cette étude nécessite la capture du Canard colvert Anas platyrhynchos, et Sarcelle d’hiver Anas crecca. Le choix a été fait d’équiper des canards considérés comme granivores. Ces canards sont équipés de balises de type GPS, afin de préciser la localisation des zones de nourrissage et le déplacement des canards au cours de la nuit.
Cette action se déroule au cours des saisons 2016-2017, 2017-2018 et 2018-2019.
Les résultats vont donc fournir des éléments d’information pour :
- évaluer la performance écologique des projets LIFE. Il sera alors possible de caractériser la fréquentation nocturne et donc l’utilisation « fonctionnelle » (alimentation) des sites ayant fait l’objet d’une intervention (enlèvement des crassats d’Huître, mise en place d’ouvrages de gestion hydraulique) que ce soit sur la vasière (utilisation potentielle par le Canard pilet) ou que ce soit sur le site de la Prée Mizottière (effet de la gestion hydraulique).
- avoir des éléments de compréhension sur l’utilisation trophique du Marais Poitevin par les anatidés et ainsi pour cibler spatialement les besoins en terme de protection tant sur la partie remise que sur la partie gagnage.
Dans un premier temps, il est plus facile de capturer ces oiseaux sur la Prée Mizottière. Néanmoins des essais de capture sur la baie (plus aléatoire) sont testés au cours de l’hiver 2017-2018 et les prés-salés de Champagné-les-Marais sont retenus comme site de capture.
Cette action intègre donc une dimension « capture et baguage », équipement avec des émetteurs et analyse géospatiale des données. Il s’agit donc de récupérer la localisation GSP précise des canards pour identifier leur zone d’alimentation (et leur gestion liée).
De part sa spécificité « canard », cette phase de programme intégrera le programme « Sarcelle » de l’OFB.
Capture et baguage
Les captures de canards sont réalisées sur le site de la Prée Mizottière, de l’Epine, du Petit-Rocher ainsi que sur les prés-salés de Champagné-les-Marais, par le biais de nasses et de cage-pièges. Des captures sur la pointe d’Arçay ont lieu au cours de l’hiver 2018-2019. Un agrainage est utilisé pour optimiser le dispositif.
Les cages sont activées tous les jours mi-novembre à mi-janvier (NB : compte-tenu des contraintes de formation, cette activation se fera qu’à partir de début décembre en 2017). En sus, tous les canards capturés sont bagués. Les sarcelles sont équipées de marques nasales. Cette intégration facilite la mise en place du programme LIFE car toutes les autorisations et technicités ont été validées par le Muséum d’Histoire Naturelle à l’OFB. Toutes les formations liées au baguage et à la mise en place d’émetteurs se feront dans ce cadre.
Résultats
Le rapport final est disponible ici : Lagrange P (2022) Etude sur l’utilisation de la baie de l’Aiguillon et des marais périphériques par les anatidés hivernants .
1 – Première question : quelles sont les zones qui produisent le plus à manger ?
Pour répondre à cette première question, près de 11 314 carottes ont été prélevées sur l’ensemble des sites au cours des 3 années d’échantillonnage (mizottes de Charron et Champagné-les-Marais, prairies de la Prée Mizottière et des marais de la Vacherie et communal de Lairoux). Toutes les carottes ont été tamisées, et les graines passées à l’étuve (4 jours à 60°C) avant la phase d’analyse : identification, comptage et pesée.
La banque de graines est à première vue plus diversifiée en prairie humide qu’en pré salé, mais cette variabilité est dépendante de l’année et de la saison et plus liée au site d’échantillonnage (échantillon plus élevé en milieu prairial qu’en pré salé) qu’à l’habitat.
Au total, ce sont 82 genres en prairie humide contre 54 en pré salé. Les prés salés sont dominés par les genres Salicornia, Puccinellia, Suaeda, Atriplex, Parapholis et les prairies humides par Trifolium, Ranunculus, Carex, Eleocharis et Polygonum.
2 – Deuxième question : que mangent les canards ?
Pour répondre à cette question, 69, 25 et 56 gésiers/jabots (première, deuxième et troisième année respectivement) de différentes espèces d’anatidés granivores ont été analysés : Canard colvert, Sarcelle d’hiver, Canard siffleur, Canard pilet, Canard souchet.
Des débris de végétaux ont été retrouvés dans 50 % des canards siffleurs, 32 % des canards souchets et colverts, 25 % des canards pilets, 1 % des sarcelles d’hiver et aucun dans les deux canards chipeau prélevés.
Les dix taxons retrouvés le plus fréquemment dans les gésiers qui composaient le régime alimentaire des anatidés (toutes espèces confondues) étaient : l’Eleocharis palustris (37 % des individus en avaient ingéré), les Chironomidaea (27 %), les salicornes (19 %), Persicaria hydropiper (19 %), Carex vulpina et C. cuprina (respectivement 15 et 10 %), Puccinellia maritima (8 %), Trifolium arvense (7 %), Hydrobia ulvae (6 %), Medicago lupulina (6 %), Sueda vera (5 %).
Le nombre de graines collectées au total est plus abondant dans le cortège floristique des prés salés que dans le cortège des prairies humides.
3 – Troisième question : où vont-ils manger ?
Les captures ont eu lieu sur le site de la Prée Mizottière, de l’Epine, du Petit Rocher, à la Pointe d’Arçay (une seule année) et sur les mizottes de la Réserve à l’aide de plusieurs matoles et d’une ou deux grandes nasses.
Lors de la première session de capture (du 17 décembre 2016 au 26 février 2017), 2 canards siffleurs, 1 sarcelle d’hiver ainsi que 59 canards colverts (43 mâles et 16 femelles) ont été capturés et bagués. Parmi ces derniers, 9 canards ont été équipés d’un émetteur (8 mâles et 1 femelle).
Lors de la deuxième session de capture (du 11 novembre 2017 au 22 février 2018), 1 canard siffleur, 27 sarcelles d’hiver, 7 canards pilet ainsi que 27 canards colverts (43 mâles et 16 femelles) ont été capturés et bagués. Parmi ces derniers, 14 canards ont été équipés d’un émetteur (5 sarcelles, 6 colverts et 3 pilets).
Lors de la troisième session de capture (du 19 novembre 2018 au 28 février 2019), 40 sarcelles d’hiver (18 mâles et 22 femelles) ainsi que 20 canards colverts (10 mâles et 10 femelles) ont été capturés et bagués. Parmi ces derniers, 34 canards ont été équipés d’un émetteur (15 sarcelles et 19 colverts).
74 967 points GPS ont été enregistrés, permettant de suivre 42 individus (toutes espèces confondues) dont la distribution des localisations s’étend du Marais poitevin à la Russie.
La pose de GPS a permis de suivre essentiellement la Sarcelle d’hiver, le Canard colvert et marginalement le Canard pilet pendant leurs hivernages. On observe une dispersion des individus la nuit vers les zones de gagnage notamment sur les communaux pour les sarcelles (Magnils-Reigniers) ou des cours d’eau intérieurs pour les colverts (dont 12 % en dehors du Marais poitevin), alors que les individus se regroupent en journée sur les zones de remise de la Prée mizottière, la RNN de Saint-Denis-du-Payré ou de la baie de l’Aiguillon.
La Sarcelle d’hiver a utilisé en zones de remise en janvier comme en février (en et hors période de chasse) préférentiellement les espaces naturels protégés ou à vocation environnementale, ce qui n’est pas le cas sur les sites de gagnage. A l’inverse, le Canard colvert a fréquenté essentiellement des sites hors espaces protégés ou zones à vocation environnementale avec une fréquentation plus élevée en gagnage qu’en remise sur ces sites.
Les anatidés suivis semblent occuper globalement les mêmes secteurs la nuit que le jour, quelle que soit l’espèce, mais semblent plus dispersés la nuit. La taille des domaines vitaux estimée est de 9 793 hectares pour le Canard colvert, avec un écart-type de 22 127 ha sur les 20 anatidés suivis sur 22 hivernages (hivernage suivi au moins 10 jours consécutivement par individu). Le domaine vital de la Sarcelle d’hiver est estimé sur les 11 individus pendant 12 hivers à 9 771 ha en moyenne (± 18 287 ha) et celui du Canard pilet suivi moins de 4 jours à pour 2 individus à 14 160 ha (± 17 921 ha).
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